Kaboul, semaine 2
Lundi 16 mai 2005, c'est pour vous le lundi de Pentecôte, avec ses polémiques, ses grêves et sa solidarité ! A Kaboul, c'est jour de travail normal, si normal heureusement que tout le monde a repris ses habitudes.
Le matin, les travailleurs de la guest house se répartissent dans deux voitures qui les mènent au bureau à Karte-Parwan. Je me joins à eux avec l'intention de régler enfin la question de la mise-à-jour du blog avant mon premier rendez-vous à l'ambassade - finalement reporté au lendemain, ce qui me permet d'attrapper PL au saut du lit... vers onze heures... et vous avez vu le résultat.

Un camion afghan
   Un camion afghan

Dans la journée, je prends plusieurs contacts, conduis mon premier entretien sur l'égalité, et pose des jalons pour rendre visite aux différents programmes d'AMI dans les provinces, où je pourrai rencontrer des Afghans de toutes conditions. Nous tous rentrons à la tombée de la nuit, plutôt satisfaits de notre journée, jusqu'au moment où arrive une info sécurité pour signaler qu'une étrangère vient de se faire enlever en pleine ville, à deux pas de la maison. Consternation. Repérage des troupes. Consignes. Coucher.
Mardi 17 mai 2005, on se compte autour du petit déjeuner... Anne-Laure et Cécile ont dû rester dormir dans la maison où elles avaient commencé leur soirée. La voiture est allée les prendre ce matin, afin qu'elles puissent se préparer pour une journée morose. Clémentina, l'humanitaire italienne qui a disparu hier soir, est bien connue de toutes les ONGs, car elle travaille à Kaboul depuis trois ans. Ici, elle s'est fait des amis. Chacun se projette dans la situation qui est la sienne, que tous redoutent tout en pensant parfois que les règles de sécurité sont bien lourdes par rapport au risque encouru. Et voilà que la réalité a frappé...
Alors on se serre les coudes : déplacements en convois, couvre-feu avec le coucher du soleil, et suivi des nouvelles internationales sur les chaînes satellites souvent plus informées que ceux qui sont au charbon.
Je me rend pour onze heures trente à l'ambassade en empruntant un taxi sélectionné dans les contacts personnels du staff du bureau de l'AMI.
J'essaie avec Parvez, le taxi, quelques rudiments de dari, suffisamment pour repérer sur ma carte les différentes artères que nous empruntons, tout en photographiant des scènes de rue. Le temps superbe et la gentillesse des gens contrastent sévèrement avec l'inquiétude que l'on perçoit jusque dans la prévenance des Kaboulis.
La rue
   La rue

Mon rendez-vous à l'ambassade étant de nouveau annulé, j'en profite pour me faire inscrire sur les listes de sécurité, puis manger un kebab grillé au coin d'une rue de Karte-Parwan.
Florence, une sage-femme qui prépare une mission d'enregistrement des pratiques traditionnelles d'accouchement, me rejoint à la guest house pour un échange d'humeurs, de tuyaux et d'encouragements. Florence passe également à la moulinette du questionnaire :)
Mercredi 18 mai 2005, la radio afghane annonce qu'une présentatrice d'une émission de télévision très appréciée des jeunes a été abattue par balle, chez elle. Pour certains Afghans, elle personnifiait les moeurs dépravées, et il n'est pas impossible que ce soit sa propre famille qui l'ait tuée.
Le visage de la ville a changé : la rue y est maintenant hachée de frises en béton et les murs de certaines représentations diplomatiques sont capitonnées comme des cellules d'asiles d'aliénés. C'est le cas en particulier pour la représentation turque, symboliquement plus exposée puisque la Turquie dirige l'ISAF actuellement. L'ambassade de France, qui lui est mitoyenne, est devenue quasiment invisible derrière.
Heureusement, un premier contact officiel à l'ambassade me fournit des éléments plutôt encourageants pour la suite du projet.
Mais au hasard des déplacements dans les quartiers résidentiels, on passe devant les maisons d'hôtes des différentes organisations, qui ressemblent fort à des prisons.

Portail d'accès à la résidence d'une ONG
   Portail d'accès à la résidence d'une ONG

Jeudi 19 mai 2005, c'est ma troisième visite de la semaine à l'ambassade ! Il s'agit aujourd'hui d'une 'réunion' de sécurité, l'occasion pour la mission diplomatique de resserrer les liens. Une demi-heure auparavant ont été convoqués les 'chefs d'îlots', quatre expatriés chargés chacun d'assurer les contacts de l'une des zones de regroupement où sont répartis les ressortissants français de Kaboul. En cas d'urgence, et en dernier recours si toutes les mesures s'avèrent insuffisantes en fonction de la situation, la mission française se fait fort d'accueillir tout étranger qui rechercherait une protection.
Ce fut aussi l'occasion de quelques discours rassurants sur l'efficacité des forces françaises qui participent à l'ISAF, ainsi que d'un rappel sur les limites de l'action des forces de sécurité afghane, police comme armée...
Pelouses miroitantes, gazelle alanguie et paons arrogants tendent à enfermer ce petit monde dans une bulle de sérénité.
Dans le jardin de l'ambassade
   Dans le jardin de l'ambassade
Vendredi 20 mai 2005, jour de repos, donc. Hier soir, visite à L'Atmosphère, ce restaurant français localisé à cinquante mètres de la guest d'AMI, mais que les expatriés boudent pour l'instant, justement parce que c'est un de leurs lieux habituels. Pour honorer son enseigne, le personnel y met un point d'honneur à accueillir ses hôtes dans la langue de Molière. On y trouve bien sûr des fauteuils et canapés sous les ombrages, mais aussi un terrain de pétanque et ...une piscine, en cours de réfection, très prisée pendant l'été. A mon grand regret, tous ces lieux sont fréquentés quasiment uniquement par les étrangers, et je n'ai pas encore eu l'occasion discuter avec d'autres Afghans que le personnel des ONGs.
Dans la journée, RAS.
Samedi 21 mai 2005, je peux enfin envoyer mon premier message au représentant français à Herat, dont l'adresse e-mail était restée jusque-là hermétique pour cause de mauvaise épellation. A ma surprise par ailleurs, je tchatte en direct avec PL, vers onze heures pour moi, ce qui fait huit heures trente pour lui... Déjà levé, à cette heure-là, mon cyberpunk ? Ou peut-être seulement pas encore couché...?
Je lui dédie cette superbe tortue, de celles qu'on trouve partout à Kaboul... Celle-ci a été sauvée du harcèlement des visiteuses du jardin des femmes, pour trouver refuge sur le petit gazon du bureau de l'ADSI, l'ONG qui en est le maître d'oeuvre... et où je passe pas mal de temps à tirer des plans sur la comète.

Tortue kaboulie
   Tortue kaboulie
Dimanche 22 mai 2005, ça commence à devenir sérieux : avec Voisin, le Français de Herat, il est question que je me déplace là-bas dès cette semaine, car le projet semble vraiment mûr. Des terrains pourraient être disponibles rapidement à l'initiative d'une dame dont le nom est Soraya, et beaucoup d'organismes internationaux semblent prêts à financer une structure d'accueil aux femmes.
Si le ciel ne s'était pas mis à pleurer comme une madeleine depuis ce matin, on se croirait dans le meilleur des mondes. Heureusement, un petit tchat avec A. me réchauffe les zygomatiques. NB : si vous avez des adresses de tchat, envoyez-les moi, on pourrait toujours échanger des pensées à l'occasion d'une connection...!
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