Je vous écris d'Istamboul...
Mardi 13 septembre 2005, 20h30 locales... L'aérogare se vide lentement, alors que les vols se font de plus en plus rares. Le mien, vers Kaboul, est prévu - sans retard - à 23h30, embarquement dès neuf heures et demie.
Au comptoir d'Ariana, on me délivre mon billet avec un brin de surprise : pourquoi diable ai-je payé un billet valable six mois si je rentre dans trois ? C'est que, à ma grande fureur et comme la dernière fois, les opérateurs invisibles derrière le formulaire du site internet n'ont pas pris en compte les paramètres de ma demande... mais cette fois-ci, je compte bien faire valoir un remboursement dès que j'arrive à Kaboul. Il y a là comme une sorte de chantage moral caché : on hésite à réclamer que les termes du contrat soient respectés quand on a affaire à l'Afghanistan, où le dénuement absolu échoit au plus grand nombre. Et puis l'on se raisonne, ceux qui profitent de cette culpabilité inconsciente sont planqués au Canada, et ne retournent probablement rien des revenus de leurs petits trafics aux Afghans qui sont restés au pays...
Bon... voilà, j'y retourne ! Un peu moins d'aventure, les idées un peu plus claires... et comme un fil à la patte : une mission de trois mois pour MRCA, qui aura vingt ans à l'automne... On va faire la fête à Kaboul, et je suis chargée de l'organiser ! Mes posts ne seront sûrement pas aussi réguliers que pendant la 'saison 1', mais j'essaierai de vous donner la teneur des événements marquants en Afghanistan, à commencer par les élections législatives qui auront lieu dimanche !
...et de Kaboul
Mercredi 14 septembre 2005, bien arrivée ! Mon e-mail est en bas de la page, et je récupère mon numéro de téléphone afghan, où je suis joignable en cas d'urgence : 0093 79 20 79 71.
Jeudi 15 septembre 2005, 24 sombola 1384. Sept heures trente, le cliquetis des chaînes du camion d'en haut de la rue (celui que j'ai pris en photo sur toutes les coutures en 'saison 1') me rappelle tous ces instants de bonheur fugitif que j'ai essayé de vous faire partager, sans y parvenir bien sûr. Il fait toujours très beau et chaud à Kaboul, mais les nuits sont de plus en plus fraîches, une petite laine devient utile pour dormir. Avec la baisse des réserves d'eau (qui ne se rempliront de nouveau qu'avec les pluies du début de l'hiver), l'électricité devient rare, les ampoules donnent une faible lueur jaunâtre durant la nuit, et le jour, plus rien du tout. Les bureaux fonctionnent donc maintenant au générateur.
Je prends mes quartiers au bureau de MRCA, où j'ai officiellement hier rencontré le staff pour démarrer ma mission. Ce matin, à huit heures, la voiture du bureau vient me chercher, plus de marches à pied...
Les opérations de préparation commencent au quart de tour : une vidéo a été spécialement commandée à Aïna, une ONG franco-afghane spécialisée en média. Jamsheed, qui va la réaliser, est venu exposer son planning. Il reviendra lundi avec un projet de script. Sinon, je constate que le client mail que j'ai configuré pour l'adresse que je vais utiliser pour MRCA ne peut plus envoyer de message (SMTP non valide), alors qu'il les reçoit très bien. Je risque d'être réduite à utiliser le webmail (et donc à ne pas pouvoir disposer de mes messages quand je ne suis pas connectée, c'est-à-dire la majorité du temps) ...sauf si PL met en place un serveur mail MRCA, avec des adresses correspondantes... Ça mérite d'être étudié, non ?
J'ai aussi reçu un message pour me demander un devis pour la traduction en dari de mon livre... ça pourrait se faire aussi... Et puis, le soir, en rentrant à la guest, j'ai fait connaissance de Camille, qui fait une étude sur les structures institutionnelles afghanes. Discussion passionnante, qui s'est conclue par la constatation qu'en fait nous étions déjà indirectement en contact, grâce à un ami commun afghan en France, Kanechka.
Vendredi 16 septembre 2005, 25 sombola 1384. C'est un week-end de trois jours qui commence aujourd'hui : outre les deux jours de congé habituels, dimanche est chômé pour permettre aux Afghans d'aller voter. J'ai demandé ce matin à Sabeq, l'un des chowkidar, où était le bureau de vote le plus proche : juste à côté de chez lui, en bas de la rue... Il avait l'air ravi que je lui demande si je pouvais l'y accompagner ! Je pourrais donc faire un reportage de première main.
Je suis passée voir Yama, qui habite avec Lorenzo dans une petite maison traditionnelle du quartier Pouloula Pouchta. Comme Camille hier soir, ce sont de jeunes politologues, branchés sur l'Afghanistan, avec lesquels les échanges sont riches. Mais Yama est pris par une étude pour une ONG, et ne pourra pas, comme je l'avais souhaité, disposer de suffisamment de temps pour faire la traduction de mon livre.
Pour ne pas perdre la forme, je suis rentrée à pied de Chahr-e Now à la guest.
En passant par le parc, je me suis arrêtée au QG de Bachardoust, une tente plantée là "avec l'autorisation du maire de Kaboul, au titre de l'aide au retour des réfugiés". Sa campagne semble avoir une bonne audience, et il y a fort à parier qu'il sera élu sans difficulté. Il a accepté de se prêter au jeu de mon questionnaire sur le principe d'égalité, ce que nous réaliserons après le scrutin de dimanche.

Le QG de campagne de Bachardoust,
au beau milieu du parc de Chahr-e Now
   Le QG de campagne de Bachardoust

Samedi 17 septembre 2005, 26 sombola 1384. La ville se complait dans son inhabituel long week-end, les rues sont vides et les boutiques fermées :
je n'ai même pas pu trouver un cyber-café pour consulter mes mails.
Après un casse-croûte partagé avec mes co-locataires (Amélie n'est pas encore revenue mais il y a toujours Michel et Stéphane, que vous connaissez déjà, et puis Nora, fraîchement arrivée à Kaboul comme volontaire internationale à l'ambassade de France), j'aurais voulu me mettre au travail, sauf qu'il n'y a toujours pas d'électricité publique et que le générateur était en panne d'essence...!

La ville retient son souffle
   La ville retient son souffle

Et puis Sabeq est repassé à la guest pour m'emmener chercher une autorisation d'accéder aux bureaux de vote. Comme il est de coutume dans ce genre de démarches, il a fallu se rendre au poste de police de son quartier... pour être redirigés vers la direction centrale de la sécurité... où l'on nous a demandé une lettre de l'organisation qui m'emploie... que nous sommes illico allés rédiger au bureau de MRCA. Muni de ce trophée et de mon passeport, Sabeq a refait l'aller-retour de la direction centrale, d'où il est rentré triomphalement pour me remettre le précieux document qui doit me permettre de circuler et de photographier partout, demain... Je crois qu'en fait il est très content, il va être sur les photos !
Yakchambé 27 sombola 1384. Les Afghans élisent leur parlement, dans le calme et la bonne humeur. C'est Nassir, le fils de Sabeq, qui est passé me chercher à sept heures du matin, pour aller à l'école de leur quartier qui tient lieu de bureau de vote. Sabeq nous attendait devant la porte, et a exhibé fièrement son index bleu, preuve de sa participation.
Après avoir réglé encore quelques tracasseries (Nassir a dû se rendre une fois de plus au poste de police...), tous deux m'ont escortée dans le bureau de vote, où Nassir a voté... bien déterminé à ce que son candidat favori entre au Parlement, ...mais perplexe pour choisir un représentant au conseil provincial : il a donc choisi les yeux fermés, m'a-t-il dit !

Sabeq, électeur déterminé !
   Sabeq, électeur déterminé !

Nassir m'a ensuite accompagnée dans un tour de la ville pour voir plusieurs lieux de vote, en particulier dans le quartier hazara où j'ai constaté que l'organisation était complètement différente : ici les électeurs étaient obligés de faire de longues queues pour accéder à un seul point de vote, alors que dans les autres les arrivants se répartissaient naturellement et sans attente entre une dizaine de points de vote différents. Et pour couronner cette bizarrerie, l'entrée du centre hazara était agrémentée d'un magnifique mercenaire américain, avec biceps, googles, gilet pare-balle et armes variées en pelote d'épingles, attaché là probablement à la protection des observateurs de l'UNAMA que nous avons vus dans ce bureau... et pas dans les autres !
J'aurais bien voulu garder en souvenir un des extravagants bulletins de vote (quatre pages en colonnes serrées pour faire apparaître les trois cent quatre-vingt dix candidats) qui étaient confiés à la sagacité des électeurs kaboulis, mais j'ai bien senti qu'à en demander un j'aurais dépassé la limite...
Cette ballade s'est poursuivie en haut de l'une des collines de la ville, Qouloula Pouchta, et s'est terminée par une dégustation de fruits panchiris, alors que je complètai ma collection de portraits de la famille de Sabeq.
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