En tournage dans les montagnes pachtounes.
Dochambé 4 mizan 1384, 26 septembre 2005, le docteur Lailuma, responsable du programme mère et enfant de MRCA, regarde avec perplexité l'emballage que je lui présente : je dois recevoir aujourd'hui la troisième dose du vaccin contre la rage que j'ai commencé à mon passage à Paris. La boîte, que j'ai dû garder au frais durant trois semaines, contient une seringue, une poudre de vaccin et un flacon de solvant. Après traduction de la notice, l'affaire est rapidement réglée, et laisse un soupçon d'envie dans la conscience professionnelle des médecins de l'équipe : ici, le vaccin n'est encore pratiqué qu'en urgence, et exige une nombreuse série d'injections dans le ventre. J'espère simplement que le produit n'a pas trop souffert des aléas de la réfrigération...!
Séchambé 5 mizan 1384 (27 septembre 2005), départ à sept heures pour le Logar. C'est le Dr. Habib, responsable du programme Logar, qui conduit le convoi : la voiture de l'équipe de tournage (chauffeur, réalisateur, caméraman et assistant) et celle de MRCA (où nous accueillons en fait Prasant, le réalisateur indien, pour qu'il fasse connaissance avec le Dr. Habib et bénéficie de ses explications). Il est décidé de faire une courte halte à Pol-e Alam, chef-lieu de province, où nous visitons l'hôpital provincial géré par MRCA.
En fin de matinée nous repartons vers notre lointaine destination, afin de l'atteindre avant la nuit. La route cahotique se parcourt en six heures, pour quatre-vingt kilomètres environ. Pour résister, il est d'usage de faire une pause pique-nique au bord de la rivière (qui est accessoirement la route).

Route ou rivière ?
   Route ou rivière ?

A cette occasion, c'est le chef de mission qui se transforme en cuisinier (on a emporté un réchaud à gaz et une cocotte minute modèle local), pour faire honneur à la tradition d'hospitalité pachtoune. C'est délicieux, et arrosé de l'eau d'une des innombrables sources naturelles qui sourdent en permanence des montagnes. Après avoir croisé des camions sur des cols apparemment impossibles, avalé des tonnes de poussière sur des pistes désertes, et baigné nos roues aux eaux claires des sources, quand nous atteignons la vallée d'Azra il fait déjà sombre. Il est juste temps de trouver à chacun un endroit pour dormir...
Tchahr-chambé 6 mizan 1384 (28 septembre 2005), j'ai passé la nuit dans la famille d'un des gardiens de la clinique MRCA (à droite sur la photo...). Une grande maison cachée dans une enceinte en pisé, et organisée autour d'une cour intérieure. Comme il est de coutume, le Dr. Habib m'y avait laissée aux bons soins des femmes, alors que lui et les autres hommes dormaient dans la chambre d'hôtes qui est à l'extérieur de l'enceinte.
Pendant la soirée, éclairée d'un néon alimenté par une turbine placée sur la rivière, toute la maisonnée s'était assemblée autour de moi, et nous avions tenté une conversation.
L'un des fils de la maison parle un peu l'anglais, j'utilise mes rudiments de dari, et j'apprends aussi quelques mots de pachtou. Les contacts sont rieurs, spontanés, chaleureux. Nous échangeons quelques cadeaux, et j'hérite ainsi de pendentifs en perles de verres qui sont une spécialité d'ici, et qu'on ne trouve nulle part ailleurs.

Adieux au petit matin... les femmes restent invisibles,
sauf l'aieule avec qui j'ai passé la nuit.
   Adieux au petit matin...

Dans la matinée, nous reprenons la route pour atteindre Mangal, distant encore de vingt kilomètres, après une boucle de la rivière. On coupe à travers la montagne, et j'ai senti que Prasant, le réalisateur, n'était pas très à l'aise au bord des précipices ...surtout quand on croise un camion qui prend déjà toute la place. C'est sur ce trajet que l'équipe de MRCA a passé toute une nuit coincée dans la rivière, alors que leur véhicule restait submergé jusqu'au pare-brise par les eaux de fonte qui avaient envahi la vallée.
Le sentiment paradisiaque qui émane des lieux, une fois qu'on les atteint, est tempéré par le dénuement évident de la population (qui se nourrit essentiellement de céréales et de fruits, et garde pour le marché la viande de son bétail) et leur isolement : la route est bloquée tout l'hiver par la neige et tout le printemps par les eaux.

Vergers, champs de maïs et ciel bleu à Mangal
   Vergers, champs de maïs et ciel bleu à Mangal

Mettre en place des équipements de santé, et surtout y faire venir du personnel qualifié relève de l'exploit. C'est ce que nous voulons faire apparaître sur le documentaire MRCA.
Pandjchambé 7 mizan 1384 (29 septembre 2005), l'équipe MRCA termine ses travaux, l'équipe de tournage effectue encore quelques interviews, et nous redescendons vers la plaine. On sent la fatigue : certains, moins bien accomodés que moi, ont dormi sur le carrelage d'un des centres de santé en rénovation. La nuit, il a fait froid. Les repas deviennent spartiates, quelques épis de maïs bouillis, des pommes...

Au passage d'un col, on se trouve sur le seul point du parcours où les téléphones portables peuvent accrocher le réseau : chacun en profite pour donner des nouvelles !
Il fait nuit déjà quand nous atteignons Pol-e Alam, et nous faisons la route jusqu'à Kaboul dans une circulation digne des sorties de Paris.

Halte téléphonique...
   Halte téléphonique...

Merci à tous ceux qui ont fait de cette équipée un grand bonheur. Tout ça me renforce dans ma détermination à travailler pour l'Afghanistan. J'ai même pu faire une interview 'égalité' avec l'un des médecins de MRCA.
Djouma et chambé 8 et 9 mizan 1384 (30 septembre et 1er octobre 2005), soixante-dix emails de news m'attendent... J'apprends qu'un attentat suicide a fait plus d'une dizaine de morts et plusieurs dizaines de blessés à Kaboul chez les militaires afghans... Je fais le point pour le bureau MRCA : rapport d'étape à envoyer tous les quinze jours.
Samedi soir, le FCC (centre culturel français) projette devant une poignée de spectateurs un montage d'extraits des archives de l'INA, drôle et dépaysant, dans le magnifique nouvel auditorium qui doit justement abriter en novembre la célébration de MRCA.
Yakchambé 10 mizan 1384 (2 octobre 2005), redémarrage. Jamshid, caméraman attitré du documentaire, n'est pas venu faire les tournages prévus au bureau de MRCA. Renseignements pris, il aurait été retenu "par un ami arrivé à Kaboul à l'improviste, et qu'on ne peut pas laisser seul..."
Le soir, au FCCS, nous assistons à un concert de "jazz", une manifestation associant des voix et joueurs américains avec des artistes locaux...
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